TABAC
Une loi qui a modifié l’approche de l’industrie
Les nouvelles mesures ont modifié considérablement
certains aspects de la gestion d’un établissement.
Photo 1: M. Daniel Moreau de la Boite à Chansons et M. Marcellin Bourdon du Bar Billard Terminus.
Photo 2: M. François Fortier, propriétaire du bar les Quatre Jeudis et M. Alexandre Leblanc, directeur général.
Mai 2006 a été une période marquante pour tous les tenanciers. Le gouvernement du Québec a adopté une loi qui a une onde de choc dans l’industrie. Après des décennies de consommation de produits de tabac dans les bars, tavernes et brasseries du Québec, il était maintenant interdit d’y fumer.
Un lever de bouclier des consommateurs s’opposant à la loi et menaçant de ne plus fréquenter les établissements avait créé une grande inquiétude parmi tous les tenanciers. Malgré les sorties publiques et les menaces de poursuites judiciaires, rien n’arrivait à ébranler nos élus qui, pour une rare fois, étaient tous solidaires à l’Assemblée nationale. Les tenanciers étaient devant un fait accompli et la gestion de leur établissement venait de prendre un tournant important.
Le choc fut brutal. Bien que la majorité de la population était en faveur de cette loi, il n’en restait pas moins qu’une partie de la clientèlen’approuvait pasl’orientation gouvernementale et préférait ne plus fréquenter les bars, ce qui se traduisit par une diminution importante de l’achalandage pour l’industrie. Une chute qui = par contre = ne fut pas uniforme. Les établissements dont la clientèle était majoritairement jeune ont mieux traversé la crise comparativement à ceux dont la clientèle de fumeurs était plus âgée. Dans ce créneau nous avons constaté un effondrement du chiffre d’affaires qui, dans certains cas, a connu des diminutions correspondant à 35%.
Inévitablement, quelques propriétaires ont dû se résigner à fermer boutique. Par contre, d’autres ont su tirer leur épingle du jeu comme aux Quatre Jeudis de Gatineau (Vieux-Hull). « Nous avons beaucoup de travailleurs lors de nos 5 à 7. Les aménagements effectués sur notre terrasse ont permis defaciliter la cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs, ce qui nous a permis de mieux traverser la crise comparativement à d’autres établissements », mentionne Alexandre Leblanc, le directeur général.
En plus de subir une diminution de leur chiffre d’affaires, les établissements ont dû considérablement modifier certains aspects de leur gestion à cause des nouvelles mesures adoptées. Du jour au lendemain, les tenanciers ont dû faire respecter une nouvelle règlementation qui n’était pas populaire auprès d’une partie de leurs clientèles et particulièrement au sein de leurs employés. « Depuis le début, nous avons dû faire respecter leur loi à leur place.», dit madame Andrée Anctil, de l’Hôtel Central Benoît de St-Michel-des-Saints. Une tâche énorme pour les tenanciers. Quelques-uns n’ont pas réussi adéquatement et des amendes importantes leurs furent imposées. La clientèle délinquante recherchait les endroits retirés et on fut forcé d’augmenter la surveillance de ces lieux.
Le comportement de l’industrie a été exemplaire ce quia facilité l’implantation de la réforme.
Le peu d’information transmis par le gouvernement à la population a obligé la direction et les employés d’un établissement à sensibiliser leur clientèle sur ce qu’il était dorénavant interdit de faire. Beaucoup de personnes avaient tendance à sortir à l’extérieur de l’établissement pour fumer et amenaient leur boisson alcoolisée. D’autres avaient tendance à fumer dans les halls d’entrées, des comportements interdits par la loi. «Notre terrasse nous a été d’un grandsecours, car elle a permis à notre équipe de portiers d’offrir une solution à ceux et celles qui ne veulent pas laisser leur consommation lorsqu’ils sortent pour fumer», mentionne Daniel Moreau, de la Boîte à Chansons de Gatineau. Une surveillance accrue des stationnements a été nécessaire car certaines personnes laissaient des boissons alcoolisées non autorisées dans leur véhicule et profitaient de l’occasion d’aller fumer pour les consommer. Le matin nous retrouvions d’innombrables canettes et bouteilles jonchant le stationnement. Dans les premières semaines de l’entrée en vigueur de la loi, plusieurs commerces ont eu un mauvais départ avec leur municipalité à cause des mégots de cigarette que les clients jetaient devant leur commerce et sur les trottoirs. Des ajustements ont dû être apportés afin de rétablir la paix sociale entre les commerçants et les fonctionnaires municipaux.
La loi a aussi modifié les comportements des individus. Comme ils devaient sortir pour fumer ils profitaient de l’occasion pour socialiser. Ces rassemblements extérieurs étaient bruyants et plusieurs établissements ont été victimes de plaintes pour le bruit tandis que certains ont été convoqués devant les autorités de la RACJ afin de s’expliquer. Encore aujourd’hui, les tenanciers doivent être vigilants sur cet aspect.
L’interdiction de fumer dans les endroits publics a non seulement diminué le chiffre d’affaires des établissements, mais a aussi augmenté leurs frais de gestion. Malgré tout, l’industrie n’a pas vécu l’hécatombe annoncée, car les terrasses ont été l’élément qui a facilité la transition des comportements de la clientèle qui fréquentant les bars.
L’attitude de l’industrie a été exemplaire ce qui a facilité l’implantation de la réforme. Ce résultat est notamment dû à l’engagement des propriétaires qui ont investi massivement pour la construction de fumoirs extérieurs et l’aménagement de terrasses.
Interdire l’usage du tabac sur les terrasses n’est pas une mesure qui améliorerait considérablement la santé d’une population car le climat québécois permet de profiter des terrasses seulement quelques mois par année. De plus, l’interdiction détruirait le climat harmonieux qui règne présentement entre fumeurs et non-fumeurs. Le gouvernement devrait plutôt envisager d’autres mesures qui seraient beaucoup plus appropriées et appréciées de la population.
Par Richard Poirier