Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec
(mardi 18 août 2015)
MISE EN SITUATION
La Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec (CPBBTQ) soumet ses principales observations et interrogations, relativement aux auditions publiques sur le projet de loi no 44.
Notre corporation existe depuis 1993 et regroupe près de 1400 membres propriétaires et tenanciers d’établissements licenciés partout dans la province.
Contexte réglementaire
La loi québécoise encadrant le tabac dans les débits de boisson est déjà l’une des plus strictes au monde. Les autres juridictions ayant des interdictions de la sorte accordent le plus souvent des exemptions, permettant par exemple d’avoir des fumoirs séparés et ventilés. En plus d’interdire complètement les fumoirs, le Québec propose maintenant d’interdire de fumer sur toutes les terrasses et à proximité de tous les établissements.
Avec l’interdiction de fumer autant à l’intérieur que sur les terrasses, les établissements québécois n’auront à toute fin pratique plus aucun espace à offrir à leur clientèle de fumeurs. Ceci crée une situation très difficile, qui aurait pu être évitée si le gouvernement avait accepté, en 2005, de créer des fumoirs fermés et ventilés, comme cela se fait presque partout ailleurs dans le monde.
Selon les groupes antitabac, il s’agit simplement de suivre une tendance, mais cette soi-disant tendance n’existe nulle part ailleurs qu’en Ontario. On ne retrouve d’interdiction de fumer sur les terrasses extérieures dans aucun État américain, pas plus que dans un seul pays d’Europe.
Même les juridictions qui ont interdit de fumer à l’intérieur des années avant que le Québec ne suive leur exemple en 2006, n’ont jamais interdit de fumer sur les terrasses. Ceci inclut New York (2003), la Californie (1994 pour les restaurants, 1998 pour les bars), l’Irlande (2004), la Norvège (2004), la Suède (2005) et l’Italie (2005).
La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) clame que Montréal est la seule grande ville canadienne sans interdiction de fumer dans les terrasses. C’est faux. Winnipeg et Québec n’ont pas de tels règlements.
Dans la plupart des villes où il existe une telle interdiction, c’est la municipalité elle-même qui a adopté la mesure. Or, bien que les municipalités du Québec aient aussi ce pouvoir, pas une seule n’a ressenti le besoin de le faire.
Les établissements québécois ont déjà la possibilité de déclarer leur terrasse zone sans fumée, à la demande de leurs clients ou de leurs employés. Or, on connaît peu de cas où ils ont utilisé ce privilège.
Contexte économique
En dépit des affirmations groupes antitabac, la Loi sur le tabac a provoqué de fortes pertes financières. Les propriétaires de bars ne sont pas les seuls à l’affirmer: même Loto-Québec l’a reconnu noir sur blanc dans un de ses mémoires.
Pour amortir les impacts économiques, la loi de 2005 a reconnu aux commerçants le droit de conserver des terrasses, qui leur a permis de retenir une partie importante de leur clientèle.
En dépit de cette concession, de nombreux établissements ont fermé leurs portes ou ont dû réduire leurs activités en 2006. Les pertes d’emploi, comme les pertes économiques, ont été importantes. L’interdiction du tabac sur les terrasses ne balaierait pas entièrement notre industrie; mais l’affaiblirait une fois de plus. Ce serait une mesure très regrettable, de la part d’un gouvernement qui s’est fait élire sur la promesse de créer 250 000 emplois et de favoriser la croissance de la PME.
Bien que le gouvernement prétende cibler les multinationales du tabac, seuls les tenanciers de bars et les restaurants feront les frais de ce projet de loi. La seule mesure qui inquiète vraiment l’industrie du tabac, l’emballage « neutre » est laissée à la discrétion du gouvernement fédéral.
Contexte d’application
Le projet de loi interdit de fumer dans un rayon de 9 mètres de l’entrée d’un édifice ouvert au public. Or, dans certains endroits, comme au centre-ville de Montréal, les trottoirs ont moins de 9 mètres de largeur et les commerces se succèdent de manière serrée et continue, créant une interdiction de fumer de facto sur de vastes zones urbaines.
Le projet de loi permet d’établir un « abri » pour fumeur dans un site extérieur appartenant à l’établissement, mais cet « abri » ne peut être installé à moins de 9 mètres de la porte d’entrée d’un commerce. Cette mesure discrimine fortement les établissements en milieu urbain serré et les petits établissements dont la propriété extérieure ne s’étend pas à 9 mètres de la porte.
Le projet de loi prévoit des amendes peuvent aller jusqu’à 50 000 $ (et, en cas de récidive, à 100 000 $) non seulement pour les clients surpris sur le terrain extérieur d’un commerce, mais aussi pour le commerçant lui-même. Cette disposition est inapplicable et injuste. Comment le commerçant est-il censé savoir ce qui se passe hors de son établissement, surtout s’il n’a pas de terrasse et que son personnel est confiné à l’intérieur? Et dans ce contexte, comment peut-on légitimement parler de « présomption de tolérance » de la part du commerçant, comme le stipule pourtant la Loi sur le tabac?
Contexte de protection de la santé publique
Les promoteurs du projet de loi justifient l’interdiction de fumer sur les terrasses en évoquant la protection des travailleurs. Or, le projet de loi permet pourtant de fumer à l’intérieur dans les salons de cigares et les bars à chicha. On peut présumer que les employés de ces établissements sont beaucoup plus exposés à la fumée que ceux des terrasses extérieures.
Quand on a demandé à Philippe Couillard (alors ministre de la Santé) si les employés des salons de cigares avaient eux aussi droit à un environnement sans fumée, il a répondu qu’ils avaient le choix de travailler ou non dans ces établissements. Pourquoi la loi reconnaît-elle ce choix aux employés de salons de cigares et pas à ceux des terrasses, pourtant moins exposés? Le projet de loi, qui fait deux poids, deux mesures, manque d’équité.
Par ailleurs, les tenanciers de bars font actuellement campagne pour protéger leur clientèle du GHB (la « drogue du viol ») parfois versé dans le verre des clientes à leur insu. Le projet de loi, en forçant les clientes à s’éloigner de l’établissement pour fumer, les force aussi à quitter de vue leur verre pendant une période prolongée, ce qui facilite la tâche aux individus voulant droguer leur consommation.
En conclusion
Selon la CPBBTQ, la loi proposée serait l’une des plus sévères au monde. Elle ne répond pourtant à aucun besoin exprimé par la population, les employés ou même les municipalités québécoises, qui auraient le pouvoir de réglementer ce domaine et qui ont choisi de ne pas le faire.
Le projet de loi repose aussi sur des distances limites ou des concepts (l’abri pour fumeurs) qui sont totalement inapplicables en milieu urbain. Il tient aussi les tenanciers de bar responsables de ce qui se passe en dehors de leur établissement, alors qu’ils n’ont aucun moyen concret d’y exercer une surveillance.
La CPBBTQ considère donc que l’interdiction de fumer sur les terrasses vient briser un équilibre entre droits des fumeurs et des non-fumeurs qui avait fini par faire consensus. Le poids financier de cette interdiction, qu’accompagnent d’autres restrictions difficiles à appliquer en pratique, frappera lourdement les bars, tandis que des établissements comme les salons de cigares et les bars à chicha, ne seront soumis à aucune restriction.
Aux yeux de la CPBBTQ, il faut rejeter ou grandement amender ce projet de loi, l’un des plus restrictifs au monde, difficile à appliquer et discriminatoire, qui fera perdre de nombreux emplois dans l’industrie et dont l’acceptabilité sociale est plus qu’incertaine.
Renaud Poulin
P.D.G., CPBBT du Québec